Premières lignes (85)

Dans ce rendez-vous hebdomadaire, organisé par Ma Lecturothèque, je vous ferai part des premières lignes de romans qui me font considérablement envie…


Pour cette semaine, j’ai décidé de vous présenter les premières lignes du roman « La Sorcière sans Ombre », tome 1 de la série « Guide Pratique des Monstres » écrit par Genoveva Dimova et édité chez Bookmark !

Guide Pratique des Monstres, tome 1 : La Sorcière sans Ombre

« Il était près de minuit le soir du Nouvel An, mais la ville située à l’intérieur du Mur n’était pas à la fête. Ses habitants savaient que la naissance d’une nouvelle année était, comme chaque naissance, difficile, douloureuse et dangereuse. Un seul pub, niché dans les congères entre les hauts clochers de Tchernograd, était ouvert ce soir-là. Il était bondé, mais calme. Les clients étaient serrés les uns contre les autres, leurs épaules se frôlant chaque fois qu’ils levaient leurs verres. La table du coin, cachée dans un nuage de fumée de pipe, était particulièrement silencieuse. C’était au tour de Kosara de parier, et elle prenait son temps. Être la meilleure joueuse ne suffirait pas pour gagner ce soir, il fallait qu’elle soit la meilleure tricheuse. Et, pour tricher, elle avait besoin que cette maudite cheminée brûle plus fort. Le liquide atterrit sur la table, scintillant à la faible lumière de la lampe électrique comme des gouttelettes d’ambre. Les deux perles d’or qui nouaient ses tresses brillaient, contrastant avec sa peau basanée. Elle tambourinait sur le jeu de cartes du bout des doigts en attendant de distribuer. Roksana, Malamir et l’étranger la fixaient tous les trois. Empêche les coins de ta bouche de s’agiter. Ne déglutis pas trop bruyamment, n’essuie pas la sueur de tes paumes sur ton pantalon, essaie de calmer les battements de ton cœur…Roksana reposa vivement sa chope sur la table. Plusieurs clients sursautèrent. Voir une femme de sa taille perdre son sang-froid était inquiétant. Kosara ne se laissa pas intimider par Roksana. Elle pouvait faire semblant autant qu’elle le voulait, mais Kosara savait qu’elle n’était pas réellement en colère. Il était clair qu’elle n’avait pas du tout l’esprit au jeu. Elle n’arrêtait pas de jeter des coups d’œil à l’horloge, dont les aiguilles se rapprochaient de plus en plus de minuit. Kosara observa ses cartes. La reine de trèfle, pensa-t-elle aussitôt, une femme aux cheveux et aux yeux noirs. Ça doit être moi. Elle avait aussi le roi de trèfle et le cinq de carreau. Si elle parvenait à échanger son cinq pour un as, elle détiendrait la deuxième combinaison la plus forte dans une partie de Kral. Kosara jeta un regard vers la pile de bûches dans la cheminée. Elles couvaient là depuis ce qui lui paraissait des heures, sifflant de temps à autre avant d’envoyer un filet de fumée dans l’air. Elle pourrait les encourager gentiment, mais cela valait-il la peine de se faire prendre ? Pendant un long moment, les seuls sons audibles furent le gramophone qui jouait tranquillement dans le coin et le doux gargouillis de la pipe de Roksana. Qui ne tente rien n’a rien. Kosara claqua délicatement des doigts sous la table. Le feu craqua, puis les flammes léchèrent les bûches. Elle regarda autour d’elle. Roksana avait les paupières à moitié fermées et tirait sur sa pipe. Elle avait laissé les derniers boutons de sa chemise ouverts, dévoilant ses nombreux pendentifs contre le mauvais œil et cloches en laiton. Malamir et l’étranger, tous deux préoccupés par leurs propres pensées, se mordaient les lèvres, réarrangeaient leurs cartes et comptaient leurs jetons. Aux pieds de Kosara, son ombre s’agrandit, s’assombrit et se renforça grâce à la lumière des flammes rugissantes. Elle fit de son mieux pour ne pas la suivre du regard alors qu’elle se glissait sous la table. »

À la semaine prochaine pour découvrir de nouvelles premières lignes !

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