Premières lignes (82)

Dans ce rendez-vous hebdomadaire, organisé par Ma Lecturothèque, je vous ferai part des premières lignes de romans qui me font considérablement envie…


Pour cette semaine, j’ai décidé de vous présenter les premières lignes du roman « Mad Majesty », écrit par Delinda Dane et édité chez Hugo !

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« Hors de question de crever aujourd’hui ! Je refuse d’imposer ma mort à Éléonore et Matthew, ils reprennent bientôt le lycée et ma disparition gâcherait tout. Ils ont autre chose à faire que de pleurer leur frère et de porter le deuil, comme…De penser à leur avenir. Sans compter que notre chargé du protocole en ferait une syncope. Pendant une seconde, je l’imagine s’arracher les derniers cheveux qu’il lui reste, à devoir se farcir l’organisation de mes funérailles à la dernière minute. Cette pensée me soutire un rictus moqueur, qui est très vite chassé par l’odeur de pourriture d’un animal crevé gisant à quelques mètres de là Vu ce qu’il reste de la carcasse, j’hésite entre une hyène et un léopard. Ça fait chier, mais ce n’est pas le premier cadavre qu’on rencontre, et ce ne sera pas le dernier, donc il faut s’y faire. L’environnement est hostile, mais ça, on le savait déjà. À chacun de nos pas, nos boots soulèvent un nuage de poussière qui volette dans l’air. L’endroit où nous nous trouvons est une fournaise dont les températures pourraient concurrencer le neuvième cercle de l’Enfer. Quarante degrés. Et pas un centimètre d’ombre à l’horizon. Sur mon dos, mon équipement pèse son poids, si bien que tous les muscles de mon corps hurlent de douleur. Règle numéro un sur le terrain : interdiction de se plaindre. Ici, c’est marcher ou mourir. Alors je fais taire la petite voix dans ma tête qui voudrait se trouver partout ailleurs sauf ici. Je ne dois pas laisser les doutes grignoter les neurones qui n’ont pas déjà grillé sous ce foutu cagnard. Après tout, c’est moi qui ai choisi de me trouver là. « Madness » est le nom de code que l’on m’a assigné quand j’ai rejoint les forces spéciales. Le but, protéger mon anonymat par tous les moyens. Pour le coup, il ne s’agit pas d’un effet de style. La menace est bien réelle. Si mon identité venait à être dévoilée, ce n’est pas seulement moi qui deviendrais une cible, mais tous les hommes de ma base. Tel un mantra, je leur répète la même phrase tous les jours afin qu’elle s’ancre dans leur esprit. Le pouvoir du mental est puissant. Nos armes en main, mon unité et moi sommes sur nos gardes, scrutant la moindre activité aux alentours. En mission, l’erreur est humaine fatale. Chaque sortie peut être la dernière. « Trop risqué », m’a-t-on répété lorsque j’ai décidé de m’engager. OK, et donc ? Des gens meurent en permanence en raison des conflits dans le monde. Pourquoi ma vie aurait-elle plus d’importance que celle d’un autre ? Au moins une fois par mois, les journaux de mon pays prédisent ma disparition, inventent des merdes sur mon compte ou déclarent que je suis fou. Ils m’ont même trouvé un surnom, Mad Damian. Plus qu’à être à la hauteur pour ne pas décevoir mes détracteurs. En attendant, je ne me suis jamais senti aussi vivant que loin du palais. Ma mère a bien tenté de me persuader de rentrer. Pas par inquiétude pour son fils aîné, mais parce que s’il m’arrivait malheur, cela bousillerait ses projets d’avenir à mon endroit. Quant à mon père, je suis un caillou dans sa chaussure, du sable entre ses orteils. Depuis ma naissance, il me déteste, sans que nul n’en connaisse la raison. Du moins, pas moi. Mais je m’en tape pas mal, j’ai appris à vivre avec le fait d’être une déception pour lui. Spoiler alert, ses sentiments à mon égard ne m’empêcheront pas d’être roi un jour. Raison pour laquelle j’ai essuyé des dizaines de refus des autorités militaires d’intégrer l’armée. Et raison pour laquelle je n’ai rien lâché avant que l’on accepte enfin de me permettre de rejoindre les troupes engagées. Il fallait que je m’éloigne. Et une fois sur place, il était inenvisageable pour moi de rester planqué à la base à me cantonner aux entraînements. Ici, il n’y a plus de prince, plus de couronne, plus de protocole, plus de courbettes, plus de sourires hypocrites, seulement un homme comme les autres. Seulement un militaire comme les autres. Et ce sentiment de liberté est le plus gratifiant que je connaisse. Neuf mois que je suis déployé dans cette région reculée de l’Asie du Sud-Ouest, théâtre de conflits et d’instabilité politique, afin d’apporter de l’aide aux victimes des opposants au régime. Comme dans toutes les guerres civiles, les pertes sont tragiques, considérables, intolérables. En plus de vouloir renverser le gouvernement en place, les séparatistes font montre d’une cruauté sans nom envers les populations. Si « servir » et « protéger » est notre devise, rien ne m’a préparé aux atrocités auxquelles j’ai assisté en OPEX. Des familles entières décimées, des nouveau-nés arrachés du ventre de leur mère, des orphelins affamés au milieu des ruines de leur maison. Pour être honnête, depuis que je suis sur le terrain, je dors peu. Je n’y arrive plus. Comment le pourrais-je ? Dès que je ferme les yeux, mes paupières sont éclaboussées de rouge. Je distingue les visages des innombrables victimes. Quoi qu’il arrive désormais, je ne serai plus jamais le même. Malgré la dureté des combats, je veux que ma vie ait du sens, et si je dois y rester, alors ainsi soit-il. Je refuse d’être le genre de gouvernant le cul confortablement niché dans un fauteuil en cuir, sur qui personne ne peut compter. »

À la semaine prochaine pour découvrir de nouvelles premières lignes !

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