Premières lignes (70)

Dans ce rendez-vous hebdomadaire, organisé par Ma Lecturothèque, je vous ferai part des premières lignes de romans qui me font considérablement envie…


Pour cette semaine, j’ai décidé de vous présenter les premières lignes du roman « Dans la Forêt des Larmes », écrit par Glendy Vanderah et édité chez Charleston !

Dans la Forêt des Larmes

« Les premiers mots qu’elle livra à la nature furent : « S’il te plaît, reviens ». Ellis avait neuf ans, et elle était assise sur les berges de la rivière dans la Forêt Sauvage, c’était Zane qui l’avait baptisée ainsi. Quand elle rentrait à la maison, les souliers maculés de boue et la tignasse emmêlée, il commentait parfois d’un « Tiens, le petit farfadet est allé faire un tour dans sa Forêt Sauvage ? » et elle répondait « Oui », car la forêt était sauvage, et car c’était bien la sienne. Seule Ellis s’aventurait dans les bois qui délimitaient le terrain des mobil-homes et s’étendaient loin de l’autre côté de la rivière. Les adultes n’accordaient pas d’intérêt à ce mince cours d’eau et à ses arbres. Ils n’en percevaient pas la beauté. Pour y pénétrer, il aurait fallu qu’ils sachent comment se faufiler à travers la barrière épineuse des buissons de rosiers et de mûriers. Il y avait un endroit précis, une fente dans laquelle Ellis se glissait comme par une porte magique. Depuis plusieurs mois, elle se réfugiait dans la Forêt Sauvage en descendant du bus scolaire. Depuis que l’état de sa mère avait empiré. Elle aimait s’asseoir au bord de l’eau pour faire ses devoirs, mais ce jour-là, les problèmes de maths ne se résolvaient pas sur ses genoux. Elle restait hypnotisée par la rivière. Avec les averses du printemps, le niveau était à son plus haut et diverses choses dérivaient à toute vitesse à la surface. Des feuilles, des bouts de bois, un gobelet en carton. Un tissu blanc neige, peut-être un T-shirt, ondoyait entre les rochers. Il fut freiné dans son élan par une branche submergée qui l’attrapa un temps, mais la rivière ne cessait de remuer, de tirer, et l’étoffe finit par lui échapper. Ellis se leva pour voir quel serait son prochain obstacle. Le T-shirt immaculé disparut, aspiré dans les profondeurs noires de l’eau par les courants tumultueux. Étrangement, elle eut l’impression de se noyer avec lui. Elle arracha une page de son cahier et écrivit ces quelques mots : « S’il te plaît, reviens ». Elle les relut lentement, pendant très longtemps, puis en ajouta deux autres. « Signé, Ellis. » Elle plia le bout de papier en deux et le jeta dans les flots gris. Le petit bateau navigua agilement sur la surface miroitante. Elle imagina ses mots, comme sept matelots prêts à braver les éléments pour transmettre son message, et les regarda voguer jusqu’à disparaître au tournant de la rivière. Constatant au bout d’une semaine que sa lettre restait sans réponse, elle décida de se montrer plus précise dans sa requête. Par une journée venteuse d’avril, elle écrivit soigneusement : « Cher Monsieur le vent, pouvez-vous me ramener Zane ? Signé, Ellis. » Elle grimpa dans son arbre préféré pour se percher sur une branche en hauteur, et attendit la bonne bourrasque pour lâcher sa petite missive. Ce deuxième bout de papier disparut bien plus vite que le premier. Elle y vit un signe favorable. Malheureusement, ce n’en était pas un, car le vent ne lui ramena pas Zane. Elle continua pourtant d’écrire à la forêt. Elle envoya de nouveaux mots par les flots et les rafales, cacha de minuscules notes entre les racines des arbres ou sous les rochers, et les plongea dans le bois mou des troncs pourris. Elle persévérait, sans savoir pourquoi. Se livrer lui faisait du bien, et peut-être y avait-il un peu de ce que d’autres enfants trouvent dans leurs prières adressées à Dieu. Au bout d’un moment, on comprend qu’aucune réponse ne viendra. Et c’est encore mieux, en vérité. Parce qu’alors on peut avouer sans crainte tous ses secrets. C’était la seule chose qui comptait, épancher ses mots avant qu’ils ne débordent, afin de ne pas se noyer. »

À la semaine prochaine pour découvrir de nouvelles premières lignes !

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