Premières lignes (67)

Dans ce rendez-vous hebdomadaire, organisé par Ma Lecturothèque, je vous ferai part des premières lignes de romans qui me font considérablement envie…


Pour cette semaine, j’ai décidé de vous présenter les premières lignes du roman « La Bibliothèque des Ombres », écrit par Rachel Moore et édité chez De Saxus !

La Bibliothèque des Ombres

« Il y avait une photo de son huitième anniversaire, où elle se tenait collée à lui, exhibant sa première carte de bibliothèque. Elle, avec ses nattes. Lui, avec sa moustache. Pas la meilleure période, ni pour l’un ni pour l’autre. Sur la suivante, il serrait la main d’une statue de marbre, en plein milieu de la fontaine de la cour. Este était passée devant en marchant jusqu’au dortoir et elle l’avait reconnue en moins d’un battement de cœur. Sur cette photo, leur ressemblance était frappante. Elle avait les mêmes cheveux bruns, les mêmes yeux noisette et le même arc de cupidon au sommet de ses lèvres. Et quelque part, fourré dans son sac à dos, elle possédait encore ce vieux pull à col rond griffé « Radcliffe » qu’il portait sur ce cliché, mais les manches en étaient désormais élimées. Sur la dernière photo, il avait l’âge d’Este, 16 ans, et il se tenait, dégingandé, devant la porte de la chambre 503 A de Vespertine Hall. La photo, aux couleurs passées et aux coins écornés, était floue, et dans un coin, il avait écrit : Premier jour à Radcliffe, septembre 1997, le talon de sa main gauche avait fait baver l’encre. Elle avait numérisé l’image et l’avait envoyée au doyen des élèves pour lui demander, bon, d’accord, pour le supplier, d’être placée dans la même chambre. Sur le moment, la réponse de l’école avait été évasive. Votre requête a bien été enregistrée et sera étudiée. Mais Este était bien là. Elle se tenait au même endroit que lui, occupait le même espace. Posy se redressa en grognant. « Oh, ouais. Il se trame un truc carrément flippant dans le coin. » Réprimant son envie de rire, Este installa les cadres sur le bureau et fouilla ensuite ses affaires à la recherche d’un livre. Ses doigts reconnurent bientôt la texture familière de la reliure verte. Un livre de contes, un cadeau de son père. Elle avait déjà mémorisé chaque mot inscrit sur ces pages aux bords frangés, mais Este était incapable de résister au réconfort que lui procuraient ses vieilles histoires préférées. Elle en connaissait chaque phrase, chaque défaut d’impression, chaque feuille cornée. Plus jeune, elle avait l’habitude de caresser les pages blanches à la fin du volume, un espace où rédiger un jour sa propre histoire. Des mots bleus tachaient la page de garde, griffonnés par son père. Bibliothèque d’Este Logano, avait-il écrit et souligné. Sur la page suivante, il avait ajouté : Il y a la vie, il y a la mort et il y a l’amour, le plus important restera toujours l’amour. Il était mort quelques années après avoir écrit ces mots, et Este avait alors compris qu’il avait eu tout faux. Ils l’avaient enterré dans le cimetière poussiéreux au bout de la rue, près de leur petite maison bleue de Paso Robles, et le cœur brisé d’Este avait eu beau déverser des torrents d’amour, ça ne l’avait pas ramené. Pendant un temps, Este s’était entêtée à croire aux fantômes, espérant revoir le visage de son père ou entendre sa voix une dernière fois. Chercher des formes dans l’obscurité, c’était comme gratter une blessure récente pour l’empêcher de cicatriser. Au bout du compte, elle avait été obligée d’abandonner. Les esprits ne pouvaient pas être réels, parce qu’elle aurait forcément déjà croisé le sien, sinon. Mais au moins, elle aurait désormais l’occasion d’explorer son ancien terrain de jeu, et c’était peut-être suffisant. »

À la semaine prochaine pour découvrir de nouvelles premières lignes !

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