Premières lignes (24)

Dans ce rendez-vous hebdomadaire, organisé par Ma Lecturothèque, je vous ferai part des premières lignes de romans qui me font considérablement envie…


Pour cette semaine, j’ai décidé de vous présenter les premières lignes du roman « Les Sables d’Arawiya », tome 1 de la série « Chasseurs de Flamme » écrit par Hafsah Faizal et édité chez De Saxus !

Chasseurs de Flamme, tome 1 : Les Sables d'Arawiya

« Les gens vivaient parce qu’elle tuait. Et si pour cela elle devait braver l’Arz, où même le soleil avait peur de briller, qu’il en soit ainsi. Quand la journée se passait bien, Zafira bint Iskandar se disait qu’elle était plus courageuse que le soleil. Les autres jours, en revanche, elle était impatiente de quitter l’Arz, cette sombre forêt, et de retrouver les plaines couvertes de daama neige de son califat. Aujourd’hui était une bonne journée, malgré les bois de cerf qui lui irritaient les paumes. Elle quitta cette maudite prison qu’était la forêt, prétendant qu’elle soupirait parce qu’elle venait d’accomplir sa tâche plutôt qu’à cause de la peur qui lui étreignait le cœur. Le soleil matinal lui embrassa les joues en guise de bienvenue. Marhaba à toi aussi, lâche. La lumière du soleil était toujours ténue dans le califat de Demenhur, comme si l’astre ne savait pas quoi faire avec cette neige qui remplaçait le sable. La mer de blanc s’étendait devant elle, lisse et étincelante. La vue lui offrit un rare moment de satisfaction dans sa solitude, malgré ses orteils engourdis et son nez paralysé par le froid. En effet, Zafira n’avait pas la vie facile : dans un califat où les actions d’une femme pouvaient à tout moment se retourner contre elle, se faire passer pour un homme n’était pas chose aisée. Surtout avec des courbes aussi féminines que sa voix et sa démarche. Elle tira la carcasse du cerf, laissant dans son sillage une traînée de vapeur et une piste cramoisie dans la neige. Une promesse flottait dans l’air. La terre et le murmure des arbres paraissaient étrangement calmes. Ce n’est rien. La paranoïa avait le don de surgir au pire moment. Zafira était simplement nerveuse à cause du mariage qui approchait. Sukkar hennit depuis le poteau pourri où elle l’avait attaché. La robe quasiment blanche de l’étalon lui permettait de se fondre dans le décor. Tandis qu’elle arrimait la carcasse du gibier à la selle de Sukkar avec des gestes aguerris, celui-ci resta immobile, aussi doux que le nom qu’elle lui avait donné. Puis elle se hissa sur son dos. Sukkar ne réagit pas, se contentant d’examiner l’Arz de loin, comme si un éfrit allait apparaître et l’avaler tout entier. Tout le monde était lâche face à cette forêt : les cinq califats qui composaient Arawiya la redoutaient, car l’Arz bordait tous leurs territoires. C’était une malédiction qu’ils partageaient depuis que la terre avait été dépouillée de sa magie. Baba avait appris à Zafira que l’Arz était, à bien des égards, une simple forêt. Il lui avait enseigné comment l’utiliser à son avantage. Des astuces pour se faire croire qu’elle pouvait l’apprivoiser, alors qu’en réalité, c’était impossible. Personne n’en était capable. La mort de Baba l’avait prouvé. Zafira guida Sukkar loin des bois, vers la plaine et les terres de Demenhur. Mais l’Arz exigeait toujours qu’on y jette un dernier coup d’œil. La jeune fille s’arrêta et se retourna. La forêt l’observait. Elle respirait. Ses arbres squelettiques tendaient des doigts noueux enserrés dans des tourbillons d’ombre. Certains disaient qu’elle dévorait les hommes comme les vautours se goinfrent des morts. Pourtant, Zafira en ressortait vivante, jour après jour, chasse après chasse. Elle avait conscience que chaque expédition pouvait être sa dernière et, même si elle prétendait ne pas avoir peur de grand-chose, se perdre était sa plus grande crainte. Il y avait malgré tout une pulsion en elle qui la faisait savourer ces visites au cœur des ténèbres. Elle détestait l’Arz. Elle détestait tellement cette forêt qu’elle se sentait attirée par elle. Mais l’étalon s’en fichait. Zafira fit claquer sa langue et le força à s’élancer. Elle sentit la tension quitter ses muscles raides à mesure qu’elle s’éloignait de la forêt maléfique. Jusqu’à sentir une présence alourdir l’air. Les poils de sa nuque se hérissèrent et elle jeta un regard méfiant par-dessus son épaule. L’Arz la fixait en retour, comme si la forêt retenait son souffle. Non, la présence était ici, à Demenhur, imitant le silence presque aussi bien que Zafira. Presque. S’il y avait une chose qu’elle redoutait plus que de se perdre dans l’Arz, c’était d’être prise au dépourvu par un homme qui pourrait prouver qu’elle n’était pas un chasseur, mais une chasseuse, une fille de 17 ans dissimulée sous la lourde cape de son père chaque fois qu’elle partait chasser. Elle serait aussitôt rejetée, ses victoires seraient tournées en dérision. Son identité serait détricotée. Cette pensée lui serra le cœur, et les boum boum boum s’accélérèrent encore un peu. »

J’espère vous avoir donné envie d’y jeter un œil et je vous dis à la semaine prochaine pour découvrir de nouvelles premières lignes…

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