Premières lignes (13)

Dans ce rendez-vous hebdomadaire, organisé par Ma Lecturothèque, je vous ferai part des premières lignes de romans qui me font considérablement envie…


Pour cette semaine, j’ai décidé de vous présenter les premières lignes du roman « Girl, Serpent, Thorn », écrit par Mélissa Bashardoust et édité chez Hugo !

Girl, Serpent, Thorn

« Les histoires commencent toujours de la même façon, Il y avait et il n’y avait pas. Ces mots offrent une possibilité, une chance d’espoir ou de désespoir. Quand la fille s’assied aux pieds de sa mère pour lui demander de raconter l’histoire, toujours la même, son moment préféré arrive sur ces mots, qui laissent entendre que tout est possible. Il y avait et il n’y avait pas. Elle est et elle n’est pas. Sa mère reprend sans cesse le même récit, avec les mêmes phrases, comme si elle s’appliquait à les répéter soigneusement. Il y avait et il n’y avait pas une fille de treize ans qui vivait dans une ville au sud du mont Arzûr. Tout le monde savait qu’il ne fallait pas s’en approcher car c’était la demeure des divs, les serviteurs démoniaques du Destructeur qui n’avait pour tout objectif que le chaos et la destruction du monde du Créateur. La plupart des gens évitaient même la forêt clairsemée sur la face sud de la montagne. Sauf, parfois, des enfants qui se prenaient pour des adultes et venaient s’y promener dans la journée, uniquement dans la journée, pour aller ensuite s’en vanter. Un jour, la jeune fille, voulant faire preuve de bravoure, décida de s’y aventurer. Elle comptait simplement atteindre les premiers cèdres pour cueillir une brindille en guise de preuve. Cependant, elle y trouva une jeune femme enchevêtrée à terre dans un filet et qui appelait à l’aide. C’était un piège de div, expliqua-t-elle à la fille, et s’il revenait, il risquait de la faire prisonnière elle aussi. Apitoyée, la fille s’empara en hâte d’une pierre acérée pour couper les mailles. Une fois libérée, la femme la remercia puis détala aussitôt. La fille comptait bien en faire autant, mais elle hésita un peu trop, jusqu’à ce qu’une main pesante se pose sur son épaule. Elle vit alors la masse monstrueuse qui la surplombait et demeura sur place, tellement terrifiée qu’elle n’osa s’enfuir ni même appeler à l’aide, persuadée que son cœur allait cesser de battre, épargnant au div la peine de la tuer. Le regard de celui-ci passa du filet à la pierre qu’elle gardait encore dans la main, et il comprit ce qui s’était passé. – Tu m’as volé quelque chose, gronda-t-il. Je vais devoir me rembourser. Elle crut qu’il allait la massacrer, mais non, il préféra maudire la première enfant qu’elle mettrait au monde, la rendant toxique, à en tuer tous ceux qui la toucheraient. À ce passage, la fille interrompt chaque fois sa mère en demandant, pourquoi la première enfant ? Inutile de préciser qu’elle pense à son frère jumeau avec envie et, peut-être, un rien de rancune. Cela se voit sur son visage. À quoi la mère réplique toujours que les voies des divs sont impénétrables et injustes, connues d’eux seuls. Ensuite, le div laissa la fille s’en aller et elle courut jusqu’à la maison, incapable de parler à quiconque de cette rencontre. Elle avait envie d’oublier la malédiction du div, de faire comme si rien ne s’était produit. De nombreuses années s’écouleraient encore avant qu’elle n’ait à se soucier d’aucun enfant. Elle finirait par oublier la malédiction du div, a priori. Les années passèrent et, quand la fille fut assez grande, elle fut choisie par le shah d’Atashar pour devenir son épouse et sa reine. Elle ne lui parla pas de la malédiction du div, qu’elle avait elle-même à peu près oubliée. Ce ne fut qu’à la naissance de ses enfants, des jumeaux, un garçon et une fille, qu’elle se rappela le jour dans la forêt. Trop tard, bien sûr, le surlendemain de la naissance, elle découvrit que le div n’avait pas menti. Au troisième matin, la nourrice se pencha pour soulever la fille afin de l’allaiter, mais à peine l’avait-elle effleurée qu’elle s’écroulait au sol, morte. Et c’est pourquoi sa mère accepte toujours de raconter cette histoire à sa fille, encore et encore. Elle ne veut pas que celle-ci oublie combien il est important de porter ses gants, de s’assurer de ne jamais effleurer personne. Elle ne veut pas la voir aussi insouciante qu’elle-même à l’époque de ses treize ans, lorsqu’elle s’était aventurée au cœur de la forêt. À ce stade, la fille baisse régulièrement les yeux sur ses mains gantées en essayant d’évoquer cette nourrice morte à cause d’elle. Il y avait et il n’y avait pas, se rappelle-t-elle. C’est juste une histoire. La fille a envie de grimper sur les genoux de sa maman, de poser la tête sur sa poitrine, mais elle n’en fait rien. Jamais. Ce n’est pas juste une histoire. »

J’espère vous avoir donné envie d’y jeter un œil et je vous dis à la semaine prochaine pour découvrir de nouvelles premières lignes…

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