Premières lignes (119)

Dans ce rendez-vous hebdomadaire, organisé par Ma Lecturothèque, je vous ferai part des premières lignes de romans qui me font considérablement envie…


Pour cette semaine, j’ai décidé de vous présenter les premières lignes du roman « Nos Vies pour la Leur », écrit par Lucie Bernard et édité chez L’Alsacienne Indépendante !

« Debout dans sa chambre, des vêtements plein les bras et une valise ouverte sur son lit, la vieille dame sursauta lorsqu’elle entendit des portières claquer. Son chien sortit de la pièce en trombe et dévala l’escalier en aboyant. Ilinca s’approcha de la fenêtre d’un pas claudiquant. Elle pâlit à la vue du véhicule stationné dans sa propriété et des hommes marchant vers sa maison. Elle étouffa un juron. Sans perdre de temps, elle jeta le linge au sol, saisit sa canne et se rendit au rez-de-chaussée. Ilinca prit son chien dans ses bras et le serra contre elle pour le calmer. Tout avait été si vite, il était trop tard pour fuir. Ils savaient qu’elle était là avec son animal. Piégée, en proie à la peur, elle rejoignit le salon et se laissa tomber dans le canapé, sans lâcher son compagnon. Silencieuse, une boule d’appréhension obstruant sa gorge, la vieille dame s’efforçait d’ignorer les coups frappés contre sa porte d’entrée. Elle priait pour que les visiteurs indésirables abandonnent l’idée de pénétrer dans sa demeure. Pourtant, les minutes s’égrenaient et le tapage s’intensifiait. Un craquement résonna soudain dans l’habitation, faisant voler en éclats son ultime espoir. Comme un seul homme, les intrus envahirent les lieux, leurs bottes claquant contre le plancher usé. Se cacher, elle l’aurait pu. Tout comme elle aurait également pu s’armer d’un couteau de cuisine pour les accueillir. La désillusion coulant dans ses veines l’avait clouée sur les coussins pour un dernier acte. Une large silhouette se découpa dans l’encadrement. L’homme darda sur elle et son compagnon un regard vide de toute pitié, avant de progresser dans leur direction. Rapidement, trois autres miliciens lui emboîtèrent le pas et encerclèrent l’occupante de la maison. Un ricanement s’échappa de sa bouche édentée devant un tel déploiement de forces venu pour elle et son ami à quatre pattes. Ce dernier, conscient de la tension qui imprégnait chaque nerf de sa maîtresse, émit un gémissement plaintif, les oreilles rabattues sur le crâne. Guidée par la rage, elle saisit sa canne qui traînait près du canapé et la projeta en direction de l’homme le plus proche. Surpris par la violence du geste, le garde n’eut pas le réflexe d’éviter l’objet qui s’écrasa sur son épaule, lui occasionnant une vive douleur. Aussitôt, son équipier le poussa sur le côté et abattit la crosse de son arme sur la tempe de la vieille femme. Un filet de sang dégoulina devant son œil droit. Sa vue se brouilla. Son agresseur profita de sa faiblesse : il attrapa l’animal assis sur ses genoux. Le chien, complètement désorienté, tenta de mordre la main qui l’emportait, mais son audace fut arrêtée par un coup de matraque sur le museau. Le hurlement d’Ilinca résonna en écho à celui de son compagnon. Oubliant sa propre souffrance, elle se leva aussi vite que possible pour rattraper son chien. Un choc dans le creux de ses reins lui fit perdre l’équilibre. La vieille dame percuta le sol, sa tête heurtant le mur. Étourdie, elle entendit les hommes de la milice sortir de chez elle. Ilinca ne pouvait pas les laisser faire du mal à son animal. Elle rampa sur quelques mètres à la force des bras. Il était encore temps de le…Une détonation retentit, brisant net son élan. Hébétée, elle fixa la porte de son domicile restée entrouverte et perçut distraitement le bruit des pas des militaires s’éloigner. Ilinca était incapable de bouger. Elle ne sut combien de temps elle demeura allongée sur le sol à attendre un signe qu’elle s’était trompée, à espérer percevoir un souffle de vie. Le cœur au bord des lèvres, le corps tremblant, elle se redressa péniblement et effaça la distance la séparant de l’extérieur. Son fidèle compagnon gisait là, couché dans la cour boueuse de sa propriété, abandonné à la pluie. Un sanglot lui déchira la poitrine alors qu’elle tombait près de lui pour toucher son corps martyrisé. Le froid s’était imprimé dans sa chair, jusque dans ses os. Son poil, qui n’avait jamais été des plus brillants à cause de leurs conditions de vie médiocres, arborait maintenant une texture poisseuse et une affreuse couleur vermeille. Malgré tout, elle souleva ce qu’il restait d’Orca pour prendre une dernière fois l’animal dans ses bras. Le moindre mouvement éveillait en elle une sourde douleur qui pulsait au même rythme que sa peur. La peur de vivre sans lui. À cet instant, rien ne lui manquait plus que son contact apaisant, mais seul le vent la giflait. Encore et encore. Anéantie, Ilinca n’entendait plus le ciel pleurer ni sa respiration laborieuse. Elle écoutait le bruit du silence. Le silence sépulcral remplaçant les battements de cœur de ce petit être qu’elle avait tant aimé. »

À la semaine prochaine pour découvrir de nouvelles premières lignes !

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