Dans ce rendez-vous hebdomadaire, organisé par Ma Lecturothèque, je vous ferai part des premières lignes de romans qui me font considérablement envie…
Pour cette semaine, j’ai décidé de vous présenter les premières lignes du roman « Savor It », écrit par Tarah Dewitt et édité chez BMR !

« La moindre surface et la moindre vitrine sont recouvertes d’affiches et de photos des étés passés, montrant la plage de Founder’s Point remplie de canoës, le parc noir de monde avec ses marchands ambulants et la foule de participants. Chez O’Doyle, un mur entier est consacré aux labyrinthes que des gens viennent tracer chaque année sur la plage et que les visiteurs peuvent parcourir en méditant. La majorité des photos sont centrées sur le festival, la course de canoës, le concours de cuisine…Et, comme on me le rappelle une fois de plus, une section est réservée aux gagnants du concours annuel. Ces photos sont les plus grandes, encadrées et impossibles à éviter. Ian et Cassidy m’offrent un sourire triomphant sur la photo de l’année dernière alors que je dépose un sac de granulés sur le comptoir de la caisse. À côté se trouvent des photos d’Ian avec mon frère Silas, vainqueurs deux années consécutives, à l’époque où ils étaient encore inséparables. Puis il y a celles d’Ian et son père, le maire de Spunes, Ian Carver Senior, qui ont remporté le prix les six années précédentes. Ian gagne le concours depuis qu’il a dix-huit ans. Cette année, ce sera sa dixième victoire d’affilée. Comme toujours, j’embrasse le bout de mes doigts et les pose sur le portrait de mes parents, vieux de plusieurs décennies, datant de l’année où ils ont gagné. Après avoir glissé ma monnaie dans ma poche et dit au revoir au caissier, je jette le sac de granulés dans le pick-up, prête à rentrer chez moi, l’esprit agité. J’ai beau avoir été surprise quand Ian s’est mis en couple avec Cassidy, je ne ressens aucune jalousie à son égard. Qu’elle épouse Ian. Plutôt elle que moi. Ce qui me met les nerfs en pelote, c’est que je ne peux m’empêcher de penser qu’elle est meilleure que moi. Cassidy est médecin, issue d’une famille de médecins et d’avocats et de générations qui quittent Spunes soit pour faire de grandes choses, soit pour collectionner les titres puis revenir par concession ou par obligation. Comme si rester à Spunes était juste…Un service à rendre. Ce n’est pas le cas pour ma famille. Et sûrement pas pour moi. Alors vraiment, ce n’est pas tant Ian ou Cassidy qui me dérangent. Ce n’est pas cette jalousie qui me retourne le ventre. C’est que cette ville est autant la mienne que celle d’Ian. Il y a deux ans, j’ai rejoint le comité qui organise le festival. J’ai soumis des articles aux journaux locaux pour promouvoir l’événement. J’ai créé des comptes sur les réseaux sociaux. J’ai appris à d’autres personnes à s’en servir pour leurs propres entreprises, des gens qui, sans mon aide, étaient réticents à l’égard des nouvelles technologies. C’est moi qui ai contribué à faire de cette ville une attraction touristique ces dernières années. Bon sang, j’ai même donné des points en plus à mes élèves de seconde pour qu’ils s’inscrivent en tant que bénévoles ! Je leur ai même fait confiance en leur attribuant ces points à l’avance, mais qui sait s’ils respecteront notre pacte. J’aimerais juste connaître ma petite victoire, moi aussi. Même si je ne battrai jamais Ian au concours, j’apprécierais qu’on reconnaisse mon travail. Être digne de considération. J’en ai également marre qu’on prenne des gants avec moi, comme avec une enfant. J’en avais déjà assez quand j’étais avec Ian. J’étais considérée comme chanceuse simplement parce qu’Ian Carver avait daigné être avec moi, l’orpheline tragique et maladroite de la ville. La fille ordinaire devenue une femme confiante et bien dans sa peau. Quelle chance. Franchement, tout cela me donne l’impression d’être une foutue perdante, et je suis fatiguée. Fatiguée d’être regardée avec pitié, voire ignorée. J’aimerais savoir ce qu’on ressent quand on gagne. Je ne pense pas que ce soit trop demander. Je n’ai jamais eu de grandes aspirations dans la vie. Mes rêves se résumaient à des choses très simples. Je les vis en ce moment. Je veux juste être heureuse. Et d’un point de vue général, je le suis. J’aime enseigner au lycée et travailler avec des adolescents. J’ai la chance d’avoir des classes de petite taille et je connais mes élèves depuis toujours, tout comme la plupart de leurs familles. Je n’ai pas de prêt immobilier, car l’assurance-vie de nos parents a remboursé la maison, et j’ai racheté les parts de mes frères à mes dix-huit ans. Même si la récompense du festival de 10 000 dollars serait la bienvenue, j’arrive à payer mes factures et j’ai la chance d’être en vacances tout l’été. J’aime mes animaux et mon jardin. J’aime ma maison, ma ville, mes concitoyens. Et, oui. J’aimerais rencontrer quelqu’un, mais je refuse que l’absence de partenaire amoureux m’empêche de profiter de ma vie. Ce serait juste agréable de la partager avec quelqu’un qui m’apprécie et m’aime telle que je suis. Je remonte l’allée de gravier et souris à la vue de ma maison. Elle est de taille modeste, avec deux étages, une petite terrasse à l’avant et ma véranda adorée à l’arrière. L’année dernière, mes recettes au marché fermier m’ont permis de repeindre la façade en blanc, ce qui la fait ressortir devant la toile de fond des arbres au loin. Mon sourire s’envole lorsque j’aperçois ma chienne, un lévrier irlandais, traverser la prairie, sautant sans effort la clôture qui sépare ma maison de celle des Andersen. »
À la semaine prochaine pour découvrir de nouvelles premières lignes !