Premières lignes (115)

Dans ce rendez-vous hebdomadaire, organisé par Ma Lecturothèque, je vous ferai part des premières lignes de romans qui me font considérablement envie…


Pour cette semaine, j’ai décidé de vous présenter les premières lignes du roman « L’Alchimiste Écarlate », écrit par Kylie Lee Baker et édité chez De Saxus !

« Je me rappelle ce jour de ténèbres que tout le monde semble avoir oublié. Quand je ferme les yeux, je me retrouve dans une ville que, selon ma tante, je n’ai jamais visitée, et ce en compagnie de mes parents qui ne sont plus de ce monde. La ville de Chang’an évoque toute une vie rassemblée en un unique instant, débordant de mots d’un millier de langues, avec des fantômes de pas qui lissent le sol de terre battue et des habits en soie qui miroitent comme des écailles de poissons alors que des passants étincelants arpentent de larges rues. Tout au bout de la route se dresse un mur de pierre que percent cinq arches ouvertes sur les ténèbres. Je ne sais ce qui se trouve derrière ces portails, mais je m’écarte de mes parents pour m’en approcher, dépassant des marchands dont les outres en peau de chèvre laissent couler du vin, des pèlerins aux robes couleur de poussière, des danseuses parées de bijoux qui aiguisent les rayons du soleil et me les renvoient tels des poignards. Il y a quelque chose au-delà, j’en suis persuadée. Les cinq arches sont des bouches hurlantes qui m’appellent. Un gong résonne. Alors le monde se renverse et disparaît, telle une porte qu’on me claquerait au nez. Je tends la main vers ma mère, et mes doigts claquent dans toutes les directions en un millier de petites explosions pareilles à un feu d’artifice. Je tombe à travers un monde changé en sable, je tourbillonne dans le ciel nocturne. L’univers déploie ma peau et l’étend sur son infini obscur, tente pâle au-dessus des étoiles. Je suis la nuit qui a donné naissance au monde. Je suis les os de toutes les planètes. Je suis le silence. Je suis la fin. J’entends la voix de mon père me parler en une langue que j’ai oubliée depuis longtemps. Les mots montent et retombent comme de lents coups de vent faisant frémir les hautes herbes d’une vallée. Sans comprendre pourquoi, je les sais d’une grande importance, mais je suis faite de soie et les mots me traversent. Le seul que je comprends est mon nom. Zilan. Zilan. Zilan. Je me réveille au lit à Guangzhou1, entre les bras de ma mère. Mes parents me disent que c’était un rêve, mais je sais que c’est faux. Je le sais car ils ne me regardent plus de la même manière. Ils m’observent quand ils croient que je ne les remarque pas, et leur regard suit de bas en haut les bosses de ma colonne vertébrale. Ils attendent quelque chose. Qu’ai-je fait ? Je me le demande mille fois. Mais nul ne veut me le dire. Ensuite ma mère meurt, mon père disparaît, et il ne reste plus personne à qui poser la question. Moi seule me rappelle. »

À la semaine prochaine pour découvrir de nouvelles premières lignes !

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