Dans ce rendez-vous hebdomadaire, organisé par Ma Lecturothèque, je vous ferai part des premières lignes de romans qui me font considérablement envie…
Pour cette semaine, j’ai décidé de vous présenter les premières lignes du roman « La Guerrière Noire », écrit par Willow Smith et Jess Hendel et édité chez Collection R !

« La petite antilope s’éloigne de sa mère. Trop. Accroupie derrière un rocher, je suis le moindre de ses gestes alors qu’elle parcourt la berge aride en quête de quelques trop rares touffes de bourgou. Mes chevilles fatiguent et j’ai les cuisses bandées comme un arc. Depuis la seconde où j’ai repéré la maigre harde qui se dirigeait vers la Rivière-Blanche, je n’ai plus remué un cil. Après tant d’années d’entraînement, je sais faire abstraction de la douleur, je contrôle ma respiration et je peux même empêcher mes articulations de craquer en ralentissant mon nyama, l’énergie qui circule en toute chose, jusqu’à ne plus faire qu’un avec le rocher. La voix profonde et basse de Baaba résonne dans ma tête comme s’il venait de me parler. Comme s’il était là, à côté de moi. Je chevauche le souffle qui quitte mon corps. Bientôt, je sens le nyama de la harde aussi nettement que le mien. Il circule entre le faon et sa mère, elle, toujours attentive à la présence de son petit, et lui, à la sienne. Il est assez vieux pour être sevré, mais trop jeune pour avoir une perception affûtée du danger : une lame nouvelle qui a besoin d’être aiguisée. Les eaux de la Rivière-Blanche sont basses, troubles, et ses berges, dénudées sans les herbes qui parsèment sa boue ocre rouge comme autant de taches sur une girafe. Tout autour de moi, la terre est sèche, friable et pratiquement dépourvue de vie. Il faudra un cycle de lune complet, ou plus encore, avant que Sogbo nous accorde la bénédiction de ses pluies et que nous puissions semer la graine dans le terreau. Mais la lumière rose adoucit l’aridité de la terre quand Lisa point au-dessus de l’horizon. Il enveloppe ma peau sombre d’une chaleur bienvenue, illumine les acacias clairsemés et rappelle aux ramatous d’entonner leur chant matinal. Même les oiseaux dormaient quand je me suis levée, tirée du sommeil au beau milieu du règne de Mawu par cette excitation qui me saisit quand sonne l’heure de la chasse. Le faon s’aventure plus près encore, d’un pas tranquille, son ombre couvrant peu à peu le rocher dans le clair-obscur de l’aube. Je me vois déjà ajouter ses petites cornes aux dents et aux griffes qui ornent ma tunique de chasse, souvenirs des animaux dont j’ai fait présent à la longue nuit. Ma patience est en suspens sur la pointe de mon couteau de jet, alors que je le glisse hors de son étui. J’arme mon bras pour amener la lame derrière mon oreille, si lentement que c’en est douloureux. Maintenant ! Juste quand je m’apprête à frapper, une traînée de brun et de noir jaillit de derrière un tronc d’acacia, un loup peint qui fond sur ma proie. Les antilopes s’égaillent. Le faon s’enfuit avec sa mère. Le loup fait claquer ses crocs et poursuit les bêtes un moment, avant de ralentir pour les regarder disparaître à l’horizon. Aucune chance de les rattraper, on le sait aussi bien l’un que l’autre. Par la ruse de Legba ! Le dépit plombe mon estomac vide. Toute cette attente pour rien ! Je me lève, soulageant les crampes de mes cuisses, et foudroie le lycaon du regard. Apparemment inconscient de ma présence, il poursuit toujours la harde des yeux. Peut-être que je devrais plutôt ajouter ses dents à ma collection. Il est probablement trop lourd pour que je puisse le porter jusque chez nous, mais je pourrais l’écorcher et donner sa peau à Ma. Je n’ai pas forcément perdu ma matinée. Je brandis une nouvelle fois ma dague, mais quelque chose retient mon bras. J’hésite. Ce n’est qu’un louveteau et les os saillants de son arrière-train suffisent à évoquer les privations de la saison sèche. Peut-être a-t-il été séparé de sa mère pendant les dernières pluies. Seul un chasseur inexpérimenté se jette trop tôt sur sa proie, anéantissant ainsi toute chance d’une prise facile. Mais la faim nous rend tous trop hardis. Comme s’il lisait dans mes pensées, il tourne brusquement la tête vers moi. Ses yeux couleur de terre plongent dans les miens, et, soudain, le Sahel devient flou. Le temps s’écoule au ralenti. L’air vibre d’un horrible présage. Il s’enroule autour de mon cœur comme le grand serpent Bida étouffant une nouvelle proie. Et puis, tout à coup, le loup se détourne et s’éloigne, et la terrible sensation disparaît aussi vite qu’elle est arrivée. »
À la semaine prochaine pour découvrir de nouvelles premières lignes !
L’écriture est très immersive.
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Je suis bien d’accord avec toi !
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