Dans ce rendez-vous hebdomadaire, organisé par Ma Lecturothèque, je vous ferai part des premières lignes de romans qui me font considérablement envie…
Pour cette semaine, j’ai décidé de vous présenter les premières lignes du roman « De Passion d’Éther et de Fumée », écrit par Romane Clessie et édité chez Bookmark !

« Je tire de toutes mes forces sur la corde servant de poignée à la trappe en bois à double battant qui mène au sous-sol, où se trouve l’atelier. Le professeur déteste me voir emprunter cet accès extérieur nommé familièrement « la porte poubelle ». C’est par là qu’il évacue ses inventions qui ont mal tourné. Celles dont il n’est pas satisfait. Ces derniers temps, mon père n’est jamais satisfait de ses créations. Par voie de conséquence, c’est donc pile à cet endroit que je m’amuse le plus. J’aime essayer de comprendre la fonction des assemblages peu conventionnels qu’il confectionne. Une manière pour moi de tenter de déchiffrer les rouages compliqués dont est constitué l’esprit si particulier de mon géniteur. Et depuis trois ans, c’est aussi surtout une façon de me rapprocher de lui, même si pour cela je dois passer par la porte poubelle et non plus l’ascenseur pour me rendre à l’atelier. Être la fille d’un inventeur n’est pas chose aisée. Je vis avec un être qui n’a pas son pareil en ce monde. Pour lui, la vie est faite de formules mathématiques et de micromécanique, il passe plus de temps à converser avec ses engins robotisés qu’avec des êtres faits d’os, de chair et de sang. Et je ne fais pas exception à la règle. Il m’arrive trop souvent de penser qu’il daignerait sans doute me consacrer davantage d’attention si j’avais été constituée d’engrenages, de tuyaux de cuivre et de cadrans en laiton. Pourtant…Le professeur n’a pas toujours été comme ça. Avant, il y avait maman. Mes parents se complétaient à merveille. Ma mère savait comment fonctionnait l’esprit créatif de mon père, elle seule avait le pouvoir de lui faire quitter son atelier même lorsqu’il était « au beau milieu » d’une invention. Elle le faisait sourire, pleurer, hurler et rire. Ils dansaient tels deux pantins libres de leurs fils, le monde leur appartenait ! Je les entendais s’amuser et lorsqu’une idée lumineuse éclairait le regard de mon père, maman faisait tout ce qui était en son pouvoir pour lui permettre de la réaliser. Elle sortait sa plume et son si cher carnet à spirales et notait toutes ces choses incompréhensibles qui sortaient à toute vitesse de la bouche du professeur et qui faisaient de notre vie un quotidien si peu ordinaire. J’adorais cette époque. Mon père était un magicien, capable de donner vie à tout ce qu’il voulait. Entre ses mains, l’objet le plus banal devenait incroyable. Ma mère était sa muse, son binôme, l’extension de lui-même. Je me figurai alors que la vie était faite ainsi et que nous étions tous destinés un jour à rencontrer notre alter ego, l’unique âme en cet univers capable de comprendre le mécanisme complexe de notre cœur. Avec cet être je danserais la vie, il croirait si fort en moi qu’il me suivrait dans mes envies les plus folles. Tout comme ma mère suivait mon père et vice-versa. Oh oui, j’y croyais ! J’y ai cru jusqu’au jour où maman est tombée et qu’elle ne s’est jamais relevée. Elle s’est écroulée dans un ultime pas de danse, son dernier mot, mon prénom, coincé dans sa gorge, incapable de franchir ses lèvres tout à coup trop pâles, tandis que moi…Je hurlais. J’ai alors pris conscience que mon père n’était pas un magicien. Que la vie n’avait rien d’extraordinaire et qu’à tout instant elle pouvait virer au drame. Nous avons vécu un cauchemar pendant si longtemps que, parfois, me souvenir des jours heureux me semble impossible. Comme s’ils n’avaient jamais existé. Le professeur s’est réfugié dans son atelier, oubliant sa vie, les gens…Moi. La solitude est devenue ma meilleure alliée et le silence, un compagnon que j’ai fini par détester si fort qu’il m’arrive parfois de m’asseoir sur l’un des bancs du quai de la gare de Néo-Terra juste pour emplir mes oreilles de bruit humain. Juste pour me prouver que je ne suis pas seule au monde. Je me suis transformée en cette fille étrange que les gens évitent de croiser en changeant de trottoir. Et mon père, lui, est devenu cette énigme que je tente chaque jour de résoudre à travers les vestiges de ses créations avortées. Le ronronnement familier des engrenages et des pistons à vapeur s’élève dès l’instant où j’ouvre la trappe. Un monticule de ferraille se dresse face à moi, je lui jette à peine un regard et descends les nombreuses marches qui mènent à l’atelier. Ce matin, je n’ai pas envie de jouer à deviner quelle est l’invention imparfaite du jour, je suis pressée. Pressée et agacée. Car aujourd’hui, le professeur m’avait promis de m’accompagner à la course d’unicycle. Et une fois de plus, il m’a fait faux bond. Je suis encore passée après ses inventions ! Une forte odeur d’huile combinée à celle du soufre me fait plisser le nez. La pièce est plongée dans le noir. Il a dû encore s’endormir d’épuisement…Je discerne une masse étalée sur sa table de travail. Je m’en doutais ! »
À la semaine prochaine pour découvrir de nouvelles premières lignes !
Entre la couverture et ces premières lignes, je suis bien tentée !
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Oui, c’est franchement tentant !
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