Premières lignes (14)

Dans ce rendez-vous hebdomadaire, organisé par Ma Lecturothèque, je vous ferai part des premières lignes de romans qui me font considérablement envie…


Pour cette semaine, j’ai décidé de vous présenter les premières lignes du roman « Travis », écrit par Mia Sheridan et édité chez Hugo !

Travis

« – Maman, qu’est-ce qu’il y a ? Je m’approche tout doucement, le cœur battant, en fixant le dos de ma maman qui tremble. Elle a posé sa tête sur la table de la cuisine, entre ses avant-bras, et sanglote doucement. En entendant ma voix, elle se redresse. Ses joues sont trempées de larmes, sa bouche se tord dans ce qui ressemble plus à un mouvement de colère qu’à une marque de tristesse. Maman fait souvent cette tête-là. Ses yeux disent une chose, et le reste de son visage, comme les mots qu’elle prononce, disent autre chose. Parfois, ma maman m’embrouille. Je ne sais pas si je dois essayer de l’aider ou si je dois la fuir. Mon papa ne m’embrouille pas comme ça. Mon papa sourit vraiment, et quand il est triste, ça se voit aussi. Mon papa a souvent l’air triste. Mais il m’aime, et moi je l’aime. C’est mon héros, et un jour je serai policier, comme lui. Alors il ne sera plus jamais triste parce qu’il sera fier de moi et que ça le rendra heureux. Maman hausse, puis baisse violemment les épaules en poussant un gros soupir. – Ton père nous a quittés. Je cligne des yeux, mon cœur se met à battre très fort. Je murmure : – Il est parti où ? En voyage ? En ville, de l’autre côté du lac, pour faire son métier de policier ? – Qu’est-ce que j’en sais ! hurle-t-elle soudain. (Des éclairs de colère jaillissent de ses yeux.) Il s’est enfui comme un voleur avec ta tante Alyssa et ton cousin Archer. À présent, il veut fonder une famille avec eux. Il ne veut plus de nous. Je recule d’un pas. Pour m’éloigner de ma maman et de ce qu’elle me dit. – Non, je chuchote, jamais mon papa ne m’abandonnerait. Avec toi. Il m’aime. Il ne ferait pas ça. – Oh que si, et c’est exactement ce qu’il a fait, me lance-t-elle. Ses larmes se tarissent pendant qu’elle pianote nerveusement sur la table avec ses longs ongles pointus qui font des bruits secs. Tap, tap, tap. J’ai envie de me boucher les oreilles pour que ce bruit cesse. Je veux que maman arrête. De pleurer. De hurler. De taper. J’ai l’impression que quelqu’un m’appuie très fort sur la poitrine. J’ai peur, je suis triste. Il ne m’abandonnerait pas. Il m’aime. Mais je ne pleure pas. Je suis fort, comme mon papa, je ne vais pas pleurer. Ma maman fixe son téléphone posé sur la table à côté d’elle, ses doigts tapent, tapent, tapent, toujours plus fort, toujours plus vite. – Mais il y a peut-être un truc que je peux faire, murmure-t-elle en faisant la moue et en plissant les paupières. Elle attrape le téléphone et se met à composer un numéro. – Pourquoi, maman ? je murmure d’une voix brisée en la suppliant de me donner une réponse différente. (J’ai désespérément besoin de comprendre.) Pourquoi est-il parti ? Maman arrête de pianoter sur son téléphone, elle lève la tête vers moi. Elle me dévisage pendant un certain temps avant de répondre : – Parce que je suis son second choix, Travis. Nous le sommes tous les deux. Nous l’avons toujours été. On dirait que quelque chose se dessèche et tombe en moi, comme les pommes flétries qui tombent par terre dans notre jardin. Pouf. Celles dont personne ne veut. Un second choix. Un second choix. Tu n’es rien d’autre qu’un second choix. Un second choix qui n’a même pas eu droit à un aurevoir. »

J’espère vous avoir donné envie d’y jeter un œil et je vous dis à la semaine prochaine pour découvrir de nouvelles premières lignes…

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